Les bibliothèques de Varagnes (extrait du rapport de Lisa Lafontaine)

Quelques notes sur la constitution des bibliothèques

L’inventaire des livres des bibliothèques de Varagnes doit être considéré au regard des éléments suivants :

  1. Actuellement, plusieurs sites du domaine conservent différentes parties de la bibliothèque patrimoniale des Seguin. Le noyau historique principal est représenté par les pièces de bibliothèque scientifique et littéraire. Deux autres sites abritent des bibliothèques : la salle de classe et le bureau d’été de Marc Seguin, situé dans la serre.
  2. Les bibliothèques sont essentiellement dédiées à la recherche et à l’éducation. Il ne s’agit pas de lieux ou de meubles d’apparat situés dans un endroit « noble » de la demeure. Les livres s’inscrivent dans une démarche créative ou éducative et jouxtent les lieux de recherche et de création que sont la salle de physique, l’atelier d’artiste ou la salle de classe. Ils sont bien sûr aussi un instrument de culture générale de curiosité (voir ci-dessous « usage historique des livres »).
  3. Les livres doivent donc être considérés en conjonction avec les autres outils de connaissance que sont les archives, les instruments scientifiques, les objets artistiques etc. ainsi que la résultante de la recherche considérée, comme les publications ou les œuvres d’art.
  4. Même si l’installation des bibliothèques date de 1860, il ne s’agit pas d’une création ex nihilo. La plus grande partie est évidemment due à Marc Seguin, qui s’est le premier installé à Varagnes. Il faut savoir que sa bibliothèque tenait une place particulière, au cœur de ses travaux scientifiques, industriels et pédagogiques. Elle s’est constituée tout au long de sa vie et l’a suivi au fur et à mesure de ses lieux de vie : d’abord à Annonay, puis à l’abbaye de Fontenay et enfin au domaine de Varagnes. Il a enrichi son fonds personnel par des achats, notamment celui du sous-fonds de Louis Duret, famille dont est issue la première épouse de Marc Seguin. Le fonds d’Honoré Flaugergues a été acheté à l’Évêché de Viviers par Marc Seguin en 1837. Une partie sera donnée par Augustin Seguin à l’Observatoire de Paris en 1883.
  5. Il convient de préciser que d’autres livres concernant la vie antérieure à 1860 de Marc Seguin ont pu se trouver dans d’autres propriétés, notamment au Colombier (demeure historique des parents de Marc) et à Fontenay. De même les générations suivantes ont pu avoir des bibliothèques dans leurs lieux de vie (Lyon et Paris). La dispersion de ceux situés à Varagnes due aux partages successoraux est en revanche très limitée eu égard à une tradition familiale laissant à l’héritier repreneur la quasi-totalité des collections.

Les inventaires anciens

Nous connaissons un premier inventaire numéroté, établi par thème, non daté, constitué de deux cahiers. Sous le titre « Livres de la bibliothèque de Varagnes » figure une liste numérotée de 1 à 187 (correspondant à 251 ouvrages), suivie d’une liste intitulée « Livres de la Bibliothèque de M g ( ?) Seguin » numérotée 1 à 1086 et correspond à environ 3000 ouvrages. 

Il existe également un second inventaire établi selon la place du livre par étagère. Cet inventaire est entièrement barré, probablement suite à un nouveau récolement.

Un troisième inventaire est établi par thème, avec une prédominance de livres littéraires et historiques. Ce même document comprend à la fin un quatrième inventaire, établi par ordre alphabétique sans grande précision.

Enfin un cinquième inventaire, plus ancien, organisé par ordre alphabétique nous est également parvenu.

Il est envisageable de faire des vérifications croisées entre ces différents inventaires anciens, mais ce croisement ne serait pas suffisant pour établir un inventaire fiable actuel des bibliothèques patrimoniales de la famille Seguin.

Plus récemment, dans le cadre de successions, M. Brieux (expert successoral) a établi un inventaire successoral des livres de la partie scientifique de la bibliothèque dans les années 1980. En 2006, M. Picard (également expert successoral) a établi de nouveau un inventaire des livres des bibliothèques scientifique et littéraire. Ces inventaires sont limités aux livres les plus significatifs de la grande bibliothèque. Ainsi, les informations qu’ils comportent sont insuffisantes pour identifier les livres d’un point de vue patrimonial.

Dans le cadre plus vaste d’un projet d’inventaires des objets, archives et bâtiments historiques du domaine dans le cadre de leur classement national, un nouveau récolement des différentes bibliothèques patrimoniales a été récemment mené. Il a donné lieu à la mise à jour des inventaires les plus récents et à l’ajout d’éléments non répertoriés précédemment, en vue de répondre à des exigences bibliothéconomiques. Cet inventaire a été produit à la pièce.

La bibliothèque scientifique

Usages historiques des livres

Comme il a été indiqué ci-dessus, les livres sont essentiellement des outils qui ont permis aux différents membres de la famille Seguin de satisfaire leur curiosité ou de poursuivre une recherche, à l’image des autres objets, dont les outils artistiques et scientifiques de Varagnes. En effet, l’ensemble des bibliothèques de Varagnes montre avant tout le rôle utilitaire, plutôt que celui d’apparat, de cet ensemble d’ouvrages qui comprend autant des monographies que des manuels pédagogiques, des sommes de culture générale, de notices techniques et des revues reliées.

Peu de ces ouvrages relèvent d’une grande préciosité, ils portent au contraire les marques visibles d’usage intense, par le biais de coins de pages pliées, d’ex-libris nombreux, d’annotations qui vont parfois jusqu’au commentaire approfondi de l’emploi ou de l’avis de Marc Seguin quant à la qualité de l’ouvrage.

La nature même des ouvrages, notamment scientifiques, participe à confirmer cet usage utilitaire, comme en témoignent les nombreuses tables de calcul mathématiques, les traités fondamentaux et sommes générales d’apprentissage. Les archives personnelles de Marc Seguin comportent des témoignages explicites sur l’emploi quasi-quotidien de ces ouvrages et sur les objectifs d’auto-formation, ainsi que sur les lacunes de connaissances de Marc Seguin et qu’il entend combler par le biais de ces lectures. Les notices techniques permettent également d’envisager l’identification de certains instruments scientifiques encore conservés à Varagnes ainsi que les expérimentations que souhaitaient en faire les Seguin.

Quant aux revues, elles laissent transparaître un autre aspect cher aux Seguin, que Marc développe ponctuellement dans ses écrits et sa correspondance : celui de rester informé, malgré son éloignement des centres urbains, de l’évolution de la société et, notamment, des progrès scientifiques. La diversité de la partie scientifique de la bibliothèque est très importante. L’exceptionnelle curiosité des Seguin est ici reflétée : physique, chimie, optique, mathématiques, météorologie, calorique, géométrie, électricité, magnétisme, sciences naturelles, géologie, agriculture, astronomie, archéologie, architecture, géographie, histoire des civilisations, etc., auxquels il faut ajouter un nombre considérable de notes, études, articles, cartes, descriptions de monuments et atlas de nombreux pays étrangers sur les sujets les plus variés.

Soulignons qu’un certain nombre de ces ouvrages, quel qu’en soit le domaine, ont à voir avec les projets d’ingénierie proches de ceux des Seguin (sur les ponts et les chemins de fer) mais sont loin de se limiter seulement à ce domaine : il s’agit d’une littérature qui permet d’acquérir une culture scientifique bien plus vaste.

À noter dans la partie scientifique de très beaux ouvrages, souvent richement illustrés, de gravures ou de photographies contrecollées, d’architecture, de beaux-arts et de voyages., dont L’Encyclopédie, la Description de l’Égypte, les livres de Champollion, les comptes rendus scientifiques de différentes académies etc.
Soulignons également la présence dans le bureau d’été de Marc Seguin d’un important sous-fonds d’ouvrages médicaux.

Concernant la partie plus littéraire, elle porte les marques d’un intérêt légèrement moins original que celle consacrée aux sciences : il s’agit essentiellement d’une bibliothèque de classiques, dont la part consacrée à l’histoire et aux ouvrages religieux n’est pas mince.

La littérature pédagogique, répartie entre la pièce de la bibliothèque littéraire et celle de la salle de classe, semble également des plus classique et souligne bien leur usage à but didactique, très certainement dans le cadre des cours donnés aux enfants dans la salle de classe. 

En effet, les bibliothèques de la salle de classe participaient à la fonction éducative de cette pièce. On y pratiquait notamment des répétitions, ce qui impliquait de se référer aux enseignements suivis dans les établissements scolaires et aux livres correspondants. D’autres objets éducatifs conservés dans cette même pièce reflètent une approche beaucoup plus dynamique et moderne de l’éducation. On connaît, du fait des archives, l’importance que les Seguin, et notamment Marc Seguin, accordaient à l’enseignement et à la formation de leurs enfants.

Dans ce cadre, il est possible de dire que l’ensemble des bibliothèques patrimoniales de Varagnes se rapproche plus d’une bibliothèque universitaire actuelle, que de celle d’un érudit ou d’un bibliophile.

Texte de Lisa Lafontaine, adapté pour l'édition numérique par Thomas Chaineux